Détail d’une photo d’Yves Jeanmougin, CJD, Les Baumettes, Marseille

Mi-figue, mirador
René Frégni Écrivain

Ma vie d’adulte a commencé dans une forteresse militaire, plus précisément dans un cachot — refus d’obéissance, désertion et autres signes de jeunesse. Dans ce cachot j’eus tellement envie d’être amoureux, je ne pensais à aucune femme en particulier, non, simplement envie d’être fou amoureux, autre signe de jeunesse, que sans m’en rendre compte un soir j’écrivis un poème, le lendemain soir un autre et ainsi de suite. Pendant six mois mon cachot fut peuplé d’amis perdus et de femmes éblouissantes. Moi qui avais toujours renâclé devant l’étude et tourné le dos à mon avenir, je fis cent fois le tour du monde et de mon cœur sur un banal cahier d’écolier semblable à tous ceux que j’avais détestés.

Quel ne fut pas mon étonnement, vingt ans plus tard, lorsque Jean-Jacques Boin, chargé du livre à la direction régionale des Affaires culturelles, me demanda si je ne voulais pas animer en prison un atelier d’écriture.

Je n’ai jamais vraiment cru aux écritures collectives, pour la bonne raison que je ne peux écrire que seul, dans un silence parfait, face à un mur blanc où la moindre tache me gêne. L’écriture est par essence un acte solitaire, monacal, la prison serait presque aujourd’hui le lieu idéal pour entreprendre la lente et longue descente vers nos propres abysses.

Dans les ateliers que j’ai animés et anime dans les prisons de Luynes et des Baumettes nous n’avons que très rarement écrit ensemble autour d’une table. Cette table nous sert à lire à haute voix des textes que chaque détenu élabore dans le silence infini de sa cellule. Ces détenus sont pour la plupart des « longues peines ». Après cinq ans passés derrière des murs et des barreaux tout homme se met à ressembler, je dirais presque à penser comme un mur et un barreau. Ceux qui s’arment un jour d’un stylo sont sauvés. Par les passages secrets que dessine l’encre ils retrouvent les voies menant au rêve, à la révolte et au monde.

Dans chaque prison trois odeurs dominent : celle de la soupe, du crésyl et de la souffrance. Combien de détenus m’ont dit : « J’avais oublié toutes les autres odeurs, un jour j’ai écrit par hasard le mot “figuier” ou le mot “septembre” et brusquement tout est remonté, l’herbe mouillée des matins d’automne, la brume qui accompagne une rivière, le bruit de l’eau, celui des chiens de chasse, la saveur extraordinaire d’une figue encore couverte de rosée, ses mille graines sucrées… »

Je crois que toute la littérature est là. Elle nous permet de retrouver ou de découvrir les régions les plus écartées, les plus ténébreuses de nous-mêmes.

Au fil des saisons dans notre atelier chacun par l’écriture s’approche de ses monstres, les désigne, les apprivoise. Pour descendre dans ces puits sans fond ils attendent souvent le dimanche et la nuit. Durant ces longues heures point de parloirs, d’avocats, de courrier ; rien que le silence intemporel des miradors.

Chaque fois que je franchis les portes blindées d’une prison et que les gardiens fouillent mon cartable il me semble que j’apporte à ces hommes peut-être mieux qu’un 38 Spécial, une lime ou une corde à nœuds. Chacun de mes vêtements est bourré de mots, de sensations, de cris, de tendresse et d’émotions, et la plus belle phrase que l’on m’ait jamais dite, même dehors, revient à un prisonnier qui entrait dans sa quinzième année de détention : « Je suis content quand tu arrives parce que tu sens la voiture, la femme et la forêt. »

Me croirez-vous si je vous dis que j’ai rarement voyagé aussi loin qu’avec eux dans l’immobilité apparente de notre petit groupe, à lire et écouter des phrases que certains pourraient juger maladroites mais qui toutes arrivent d’un lieu qui ne figure sur aucune carte et où gronde un souffle aussi fort que le temps.

Lire un extrait de la préface de Pierre Delattre.

Avoir un aperçu du livre. (séquence Flash)


Carcérales, pages et images de prison

René Frégni textes
Charles A. Gouvernet dessins / peintures
Yves Jeanmougin photographies

avec des textes et des œuvres de détenus

Préface de Pierre Delattre

Livre broché 24 x 28 cm / 176 pages / 84 photos
et illustrations n & b et couleur
Métamorphoses / Parenthèses (2001)
ISBN 2-86364-101-8

15 € [ au lieu de 28 € ]

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Métamorphoses
Friche la Belle de Mai 41 rue Jobin 13003 Marseille

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René Frégni Né à Marseille en 1947, il réside à Manosque. Après de brèves études et six mois de prison militaire pour désertion, il passe cinq ans à l’étranger. De retour en France, il travaille dans un hôpital psychiatrique comme infirmier puis pratique le café-théâtre et exerce divers métiers pour survivre et écrire. Depuis 1992, il anime un atelier d’écriture à la maison d’arrêt des Baumettes. Parallèlement, il poursuit son activité d’écrivain et publie plusieurs romans : Les Chemins noirs, 1988 ; Tendresse des loups, 1990 ; Les Nuits d’Alice, 1992 ; Le Voleur d’innocence, 1994 ; Où se perdent les hommes, 1996 (Gallimard). Déjà lauréat du Prix Populiste en 1989, il a reçu le Prix Paul Léautaud pour Elle danse dans le noir, 1998, avant de faire paraître On ne s’endort jamais seul, 2000 (Denoël).