Des détenus et des artistes
Pierre Delattre Administration pénitentiaire
Ce livre est composé de rencontres vécues par des artistes, intervenants en milieu carcéral, et par des détenus. Il leur appartient, et non à l’institution pénitentiaire.
Que j’écrive cette préface alors même que je fus directeur de la prison des Baumettes et que j’occupe actuellement un poste à Paris au siège de l’administration pénitentiaire nécessite dès l’abord de lever toute ambiguïté à ce sujet. Ce que peut revendiquer l’institution pénitentiaire, c’est d’avoir laissé les détenus prendre le champ qui leur était nécessaire pour réaliser un tel travail, d’avoir laissé les artistes pénétrer au sein de la prison, rencontrer ceux qui y vivent, et y faire leur propre travail. Ce n’est pas rien, et c’est surtout essentiel qu’elle l’autorise, l’encourage même. Mais là s’arrête sa contribution, et si par mégarde elle voulait en réclamer pour elle-même un peu plus, elle briserait tout, le travail des détenus et des artistes, mais également le sien dont la légitimité prend sa source ailleurs et bien en aval. […]
Ce livre appartient aux artistes qui l’ont décidé, qui l’ont fait après avoir entrepris la démarche d’aller au-devant de ceux-là mêmes qui ont été exclus pour un temps de la société. Franchir le mur, passer de l’autre côté du mur, ce n’est pas seulement franchir une porte plus ou moins ouverte ou fermée. C’est franchir son propre Rubicon. Transgression symbolique. Franchir la porte d’une prison c’est, à quelque titre et statut divers et incomparable que ce soit (détenus, personnels pénitentiaires, intervenants, etc.), passer du côté du crime. On ne ressort jamais indemne d’une telle initiative. La prison n’est pas le contexte de ce livre, elle en est le « pré-texte », permettant l’élaboration d’une parole, d’un propos dont on perçoit bien qu’il s’est originé là. Le monde de la prison permettant de dire à soi-même ce que l’on n’osait peut-être pas se dire de soi-même à soi-même. Le mur de la prison comme un miroir sans tain, révélateur de la face obscure des hommes, permettant à ceux qui y sont sans y être (détenus) de se regarder… passer dans la rue. Travail d’élucidation.
Ce livre appartient aux détenus qui y ont concouru, alors même qu’ils étaient emprisonnés, ce qui ne suffit pas à les identifier, mais qui marque le travail qu’ils ont fait. L’endroit est tel, si prégnant, que l’on ne peut imaginer qu’il soit possible d’en faire abstraction. Il ne m’apparaît pas d’ailleurs qu’ils aient voulu le faire, pas plus qu’ils ne revendiquent de cette situation-là une lecture partisane, de complaisance ou de rejet. Position de justesse qui mérite d’être soulignée. Qui témoigne de lucidité. Écrire une histoire, son histoire, penser, se réfléchir dans des mots, poser son regard, dessiner son environnement, s’amplifier de poésie, s’approprier ce temps qui passe, et se construire, dans cet incontournable enfermement disciplinaire et au sein de cette inévitable promiscuité, un peu d’espace, d’espace de liberté et de désir. Démarche fondamentale, non pas de fuir, mais d’habiter le plus pleinement possible un quotidien dont on brise ainsi le confinement et dont on dépasse un tant soit peu la contingence. Un quotidien et une histoire qui prennent de la consistance.
Ce livre publié est un espace public, donnant à ce travail droit de cité, sans confusion sur la place et la contribution de chacun. Il appartient à ses promoteurs, ses éditeurs et à tous ceux qui l’ont rendu possible, qui font ainsi œuvre politique et d’insertion aux sens les plus essentiels de ces mots. Il est une contribution à la démocratie telle qu’inventée par les Grecs.
Lire un des textes de René Frégni.
Avoir un aperçu du livre. (séquence Flash)
Carcérales, pages et images de prison
René Frégni textes
Charles A. Gouvernet dessins / peintures
Yves Jeanmougin photographies
avec des textes et des œuvres de détenus
Préface de Pierre Delattre
Livre broché 24 x 28 cm / 176 pages / 84 photos
et illustrations n & b et couleur
Métamorphoses / Parenthèses (2001)
ISBN 2-86364-101-8
15 € [ au lieu de 28 € ]
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Métamorphoses
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