Médina,
médinas
Abdelhak
Serhane Écrivain
Au commencement, il y a un point d’eau. Ou une raison
pratique pour s’arrêter, se fixer. Puis la vie fait son
travail avec les bras des hommes. Quelques maisons sont
construites pour y abriter gens et bétail. Une mosquée
accompagne le chantier dans sa réalisation ; lieu de culte
et d’apprentissage du Coran aux bambins. Le hammam doit sa
naissance à la nécessité des ablutions quotidiennes par
rapport aux impératifs du désir. C’est un trait d’union
entre la maison basse et la mosquée. Lieu hautement
symbolique qui annule toute limite entre le sacré et le
profane, entre le texte et le sexe, entre le paradis et
l’enfer. Passage obligé pour le fidèle qui ne peut
retrouver la voie d’Allah et la protection des anges que
lorsqu’il s’est plié à un rituel purificatoire précis et
exigeant. Le marché s’installe en plein air, là où l’espace
a échappé au pisé et à la chaux. Un souk où les produits
cohabitent avec les hurlements des marchands, les cris des
enfants et la poussière des rues. L’odeur du poisson et
celle du poulet, nettoyés sur place, n’incommodent ni les
tomates ni les pastèques. Le fondouk ouvre ses portes au
stationnement des bêtes pendant que leurs propriétaires,
venus d’ailleurs, vaquent à leurs affaires. C’est également
l’endroit où les plus démunis trouvent asile moyennant une
somme modique par nuit. Les humains et les animaux y font
bon ménage parce que ni les uns ni les autres n’ont le
choix. La nécessité et l’urgence font ouvrir leurs portes
aux échoppes. Boutiques d’alimentation puis celles du
barbier et du tailleur, le savetier et le soudeur, le
boucher et le matelassier, le marchand de menthe et le
marchand de beignets, le rémouleur avec son harmonica, le
marchand d’épices et de produits nécessaires à la
confection des filtres et des amulettes, le vendeur
d’escargots, de glands ou de guimauve, l’écrivain et le
crieur publics, le gérant du café maure… La rue s’anime.
Couleurs, odeurs et cris se mélangent. La rue passante se
transforme en rue marchande. Toute la vie se traduit dans
ces multiples activités qui font de la médina un lieu de
contradictions et de contrastes où le riche côtoie le
pauvre et où le profane cohabite avec le sacré. Dans la
précipitation et l’urgence, on oublie l’abattoir. Ce n’est
pas une nécessité absolue. Les bêtes sont sacrifiées en
pleine rue, au grand bonheur des passants. Pour remédier à
cette négligence, une fontaine n’est jamais loin. C’est
déjà une société qui s’organise et une culture qui se met
en place.
Les maisons s’agrippent les unes aux autres, en longueur,
comme les vertèbres d’un squelette à la recherche de son
équilibre. Ou comme les grains d’un chapelet qui manque
d’homogénéité. La rue monte, descend, tourne dans tous les
sens, s’élargit par endroits, se rétrécit par d’autres,
continue longtemps son voyage capricieux au gré de quelques
maçons imaginatifs ou fantaisistes. Puis arrive un malin
qui décide de mettre fin au voyage de la rue. Un mur
perpendiculaire s’élève dans la nuit, mettant fin au rêve
et à la fuite. Ainsi, une autre rue est envisagée. Elle
part de n’importe où pour aboutir quelque part. Là où un
autre malin décide que les gens ne passeront pas par-devant
chez lui. C’est une rue en cul-de-sac qui s’arrête sur une
porte en bois décorée de gros clous en fer forgé et ornée
de la main de Fatima qui sert de heurtoir.
La médina est un véritable labyrinthe avec ses passages,
ses portes d’entrée et de sortie, ses arcatures, ses
impasses, ses détours, ses venelles, ses ombres, ses
silences, ses énigmes, ses bruits… Elle est à la mesure de
ses gens. Architecture complexe et hétéroclite. Les ruelles
sont étroites, sinueuses, enchevêtrées les unes dans les
autres, coincées dans des murs hauts, blancs ou gris,
uniformes, aux fenêtres grillagées et minuscules, aux
portes anonymes chargées de clous. Les murs s’élèvent,
suivent la sinuosité des rues, partent dans une esquisse
parallèle et finissent parfois par se rejoindre vers le
haut, si bien que certaines fenêtres s’ouvrent les unes
dans les autres. […]
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un aperçu du livre. (séquence Flash)
Maroc,
médina, médinas
Yves
Jeanmougin Lamia Naji Joseph Marando Abderrazzak
Benchaâbane François-Xavier Emery Joss Dray Michel Nachef
Gérard Rondeau Souad Guennoun Thierry Girard Khalid El
Atlassi Yto Barrada photographies
Texte d’
Abdelhak
Serhane
Livre broché 25 x 25 cm / 192 pages / 144 photographies en
bichromie
Métamorphoses (1999)
ISBN 2-9514410-0-2
25
€ [ au lieu de
38
€ ]
Cet ouvrage est disponible directement
auprès de :
Métamorphoses
Friche la Belle de Mai 41 rue Jobin 13003 Marseille
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meta@metamorphoses-arts.com
Abdelhak
Serhane Né en 1950 à Sefrou, il intègre l’académie
militaire pour une carrière d’officier, mais s’insurge
contre ses règles déshumanisantes. Devenu enseignant à
l’université, il obtient un premier doctorat d’état en
psychologie en 1989 et un second en littérature française
en 1997. Tous ses écrits rappellent l’atmosphère
d’étouffement dans laquelle évolue la société marocaine.
Les personnages de ses romans –
Messaouda, Seuil,
1983, Prix littéraire des Radios libres ;
Les Enfants
des rues étroites, Seuil, 1986 ;
Le Soleil des
obscurs, Seuil, 1992, Prix français du Monde arabe ;
Les Prolétaires de la haine, Publisud, 1995 ;
Le Deuil des chiens, Seuil, 1998, Prix de
l’Afrique méditerranéenne / Maghreb – sont des êtres
méprisés par un système corrompu et confrontés au manque de
justice, à la misère et à l’ignorance.
L’Amour
circoncis et
Le Massacre de la tribu, publiés
chez Eddif en 1995 et 1997, replacent les problèmes sexuels
et politiques marocains au cœur du débat sur l’avenir du
pays. Trois textes poétiques –
L’Ivre Poème, Al
Kalam, 1989 ;
La Nuit du secret, Atelier des
Grames, 1992 ;
Chant d’ortie, L’Harmattan,
1993 – jalonnent l’itinéraire de ce défenseur invétéré des
droits de l’homme qui accorde au rôle de la femme une place
centrale dans sa réflexion.