Algériens,
frères de sang
Leïla
Sebbar Écrivaine
Béni-Saf, pour moi, dans l’enfance coloniale, un nom aussi
ténébreux que les mines des collines où travaillent les
pauvres, espagnols, arabes, français, ouvriers à la peau
noire, j’imagine, le minerai de fer donne de la couleur,
comme le charbon. Et le port où on ne se baigne pas.
D’ailleurs, qui songe au loisir du bain de mer ? Non loin,
Nemours (aujourd’hui El-Ghazawet). Un nom qui sonne clair
quand Béni-Saf parle sombre. Nemours. J’ignore que le duc
de Nemours a participé à la conquête de Constantine,
j’ignore le jeune et beau duc de Nemours de la princesse de
Clèves, je les connaîtrai plus tard, bien plus tard, sur
l’autre rive et ce nom de Nemours aura toujours de l’éclat.
Béni-Saf. Ces garçons à la pêche, casquette américaine,
visière sur la nuque. Troisième millénaire, sous le regard
d’Yves Jeanmougin. Ils ont la grâce des garçons de la mer,
des villes de la mer, Oran, Alger. On ne les voit pas à la
pêche, du haut de la ville, désœuvrés, assis solitaires ou
en petites bandes, face à la mer, ils espèrent. Ils ont été
les enfants, garçons et filles pas encore séparés, que
l’œil du photographe surprend, écoliers à la fontaine, sur
le seuil d’une maison ancienne maculée de fétiches, mains
de Fatma, signes divins, l’étoile et le croissant, ils ont
été ces enfants joyeux à la vive espérance, avant ce
désarroi des fils du pauvre.
Jean Sénac est ce fils du pauvre, né il y a trois quarts de
siècle environ, à Béni-Saf : « Barbarout, c’est
Béni-Saf, mon village natal, les gourbis de terre sèche, le
soleil, les maisons bleues en rang sur la colline, les
mines de fer, les escaliers, la plage… Mon petit village
arabe, sur la colline, les pierres blanches qui descendent
vers la mer. » Il dit Béni-Saf comme je dirais
Nemours, au seul nom. C’est à Béni-Saf que sa mère se
réfugie pour mettre au monde du sable et de la mer l’enfant
du péché, l’enfant de l’amour interdit, clandestin, son
fils Jean : « Vous avez fui à Béni-Saf pour ma
naissance », en novembre 1926. Le poète s’adresse
ainsi à sa mère dans
Ébauche du père, un hymne
d’amour à la mère qui lui répète : « N’oublie pas que
le Rabbin de Béni-Saf t’a porté dans ses bras quand tout le
monde nous a reniés. » Se protéger de la rumeur,
l’impératif de toute la Méditerranée, la rumeur aussi
meurtrière que les bombardements de Mers-el-Kébir, durant
la Seconde Guerre mondiale, que mère et fils évitent dans
le repli à Hennaya, Béni-Saf n’est pas loin, ni Oran !
Hennaya où le grand-père maternel espagnol a acheté une
ferme après les années minières. La mère de Jean est élevée
comme une petite fille choyée, la ruine précipite le départ
dans la pauvreté. Mais pauvreté n’est pas malheur.
« J’aime voir rire », dit-elle. […]
Avoir
un aperçu du livre. (séquence Flash)
Algériens,
frères de sang / Jean Sénac, lieux de mémoire
Yves
Jeanmougin photographies
Leïla
Sebbar texte
Livre broché 24 x 22 cm / 96 pages / 69 photographies en
bichromie
Métamorphoses (2005)
ISBN 2-9514410-3-7
20 €
Cet ouvrage est disponible directement
auprès de :
Métamorphoses
Friche la Belle de Mai 41 rue Jobin 13003 Marseille
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meta@metamorphoses-arts.com
Leïla Sebbar Née à Aflou (Algérie) d’un père
algérien et d’une mère française, elle vit à Paris. Elle
collabore entre autres au
Magazine littéraire et à
France Culture. Romancière et nouvelliste, elle a notamment
publié :
Shérazade (trilogie), Stock (1982-1991) ;
Le Silence des rives, Stock (1993) ;
Soldats, Seuil (1999) ;
La Seine était
rouge, Paris, octobre 1961, Thierry Magnier (1999,
2003) ;
Marguerite, Eden (2002) ;
Je ne parle
pas la langue de mon père, Julliard (2003) ;
Sept
Filles, Thierry Magnier (2003) ;
Journal de mes
Algéries en France, Bleu autour (2005) ;
Isabelle
l’Algérien (portrait d’Isabelle Eberhardt), dessins de
Sébastien Pignon, Al Manar (2005) ;
Parle mon fils,
parle à ta mère (réédition), Thierry Magnier (2005).